Le 31 octobre dernier, les éditions Dupuis retiraient de la vente « La Gorgone Bleue » le dernier album en date des aventures de Spirou, scénarisé par Yann et dessiné par Dany, deux pointures de la bande dessinée de tradition franco-belge. Quid de cette autocensure ?
Face aux accusations de racisme et de sexisme agitant les réseaux asociaux, la direction de cette vénérable maison a capitulé en rase campagne, voulant certainement protéger sa réputation séculaire.
Mais contre qui et quoi ? Un peu interloqué, je suis revenu sur cet album que bien sûr, comme fidèle de Spirou depuis mes huit ou neuf ans – quand on aime, on ne compte pas ! – j’avais lu en son temps pas si lointain. Et alors ? Rien. Rien que ce qu’on s’attend à trouver là, de l’humour, de l’action, des personnages poursuivant depuis des décennies, une carrière de redresseurs de torts tous azimuts.
A ceci près que de la part de tels auteurs, Yann et Dany, il fallait s’attendre à un peu moins de neutralité dans le scénario et dans le dessin.
Alors oui, on voit paraitre une critique bien ouverte de notre monde soumis aux diktats de la pub sans vergogne, aux comportements pour le moins excessifs de ses vedettes, aux errements des grands patrons mais aussi aux conséquences de la consommation effrénée entre autres de malbouffe sur l’environnement et les gens.
Alors oui, on voit des agents de la CIA traquer les dangereuses et girondes activistes qui s’en prennent à la domination du hamburger sur les estomacs et qui osent pour cela enlever la principale actrice des spots publicitaires les vantant aux quatre vents du mensonge ! Activistes poursuivies sur mer par un colossal porte-avions, le bien nommé USS Obama, conduit par un équipage entièrement noir et féminin pas vraiment dupe de ce qu’on veut lui faire faire et qui croise autour du continent de plastique tourbillonnant dans les eaux du Pacifique où seraient planquée celles qu’ils traquent.
Alors oui, pour parler moderne, une histoire entre racisés et genrés de tous poils, qui remet bien les pendules à l’heure quand à ce qui mène le monde !
Alors oui, cette lecture, bien moins gnangnan qu’il n’y parait, m’a fait passer un bon moment, surtout avec la caricature évidente de Trump ne faisant pas dans la dentelle à l’image du modèle bien réel qui nous prépare un avenir de folie après un de ces retour en grâce plus énorme encore que ceux qui agitent les sagas de super héros pondus à la chaine par Hollywood !
Alors, comment se fait-il que tout à coup, la bienpensante et dogmatique société des réseaux s’en prenne à une bande dessinée qui jusque-là faisait paisiblement carrière dans l’indifférence générale des grands courants de non-pensée ? J’ai ma petite idée là-dessus !
Les auteurs n’ont fait que dévoyer un peu notre réalité à leurs manières habituelles, au-delà des nanas bien roulées, des mecs à gros nez, des noires qu’il ne faut pas chercher et des milliardaires capables de tout. Ils l’ont juste montrée crûment.
Ils nous confrontent à la malbouffe et à ses conséquences sur les gens et l’environnement, à la manière dont nous sommes manipulés, à l’existence d’individus prêts à tout et indifférent au sort de leurs semblables, aux manœuvre souterraines dont nous sommes l’objet de toutes part dans un but qui doit toujours nous échapper pour éviter toute prise de conscience et donc explosion de rage.
Ils montrent aussi un monde où les femmes prennent l’initiative, sont aux commandes, qu’elles soient blanches ou noires, que leurs buts soient honorables ou non, ce n’est pas le sujet ! Ils montrent aussi sans se voiler la face, que les voyous, mâles ou femelles, gagnent à la fin, ce qui est très inhabituel dans le monde de Spirou, royaume manichéen s’il en est ! Ils montrent un monde ou le bien peut utiliser les moyens du mal à ses fins et le mal servir le bien par opportunisme ! Le vrai monde, tout le monde dans le même sac.
Les auteurs réels de cette cabale et du piège dans lequel sont tombées les éditions Dupuis, se fichent bien des communautés outragées qu’ils ont mises en scène, leur seul but étant de protéger la loi des plus forts dont ils procèdent, face à une dénonciation élargie aux plus jeunes et trop précise des magouilles souterraines qui pourrait déciller leurs principales victimes : nous !
J’invite donc les éditions Dupuis à revenir sur cette intimidation et à remettre « La gorgone bleue » en circulation, manière de protester contre toute atteinte à la liberté d’expression et matière à en discuter dans les salles de classe.