Depuis plus de deux ans, nous parlons sans cesse de la guerre – opération spéciale, mon œil ! (belle démonstration de la manipulation du langage !) – entre la Russie et l’Ukraine.
Partie comme une promenade militaire, elle a bien vite dégénérée en conflit de rencontres à une échelle rappelant les affrontements de la seconde guerre mondiale sur les mêmes steppes, avant de s’immobiliser dans des tranchées inondées genre Verdun mâtiné de Koursk version 1943.
La suite dépendra de la puissance et de la détermination des soutiens des deux parties. La possession de 5000 têtes nucléaires par la Russie étant un facteur bloquant lui permettant toutes les initiatives et surtout de faire durer, sachant que le temps est l’ennemi principal de son adversaire choisi.
Étonnement, nous assistons à un affrontement entre deux peuples très proches car issus du même moule soviétique. Ne parlons pas ici de leurs dirigeants, mais de ceux qui subissent le conflit, à l’avant ou à l’arrière. Ne parlons pas des Ukrainiens, plus tournés vers l’Ouest, mais des Russes.
J’ai lu il y a quelque temps un livre de Svetlana Alexievitch, « La fin de l’homme rouge », publié en 2013. J’ai lu aussi son discours à Stockholm en 2015, à l’occasion de son Prix Nobel de littérature. Histoire de tenter de comprendre quelque chose à la mentalité des Russes après la guerre froide.
Peuple oppressé durant des siècles, devenu dur au mal, il s’est construit une conception du monde et une image de lui-même bien éloignées des nôtres, c’est le moins que l’on puisse dire !
Il s’aime et se déteste à la fois, plaçant la force au centre de sa cosmogonie.
La parenthèse des années 90, comprise en Occident avec des idées d’occidentaux, a été terrible pour le peuple russe qui a perdu d’un coup tous ses repères séculaires, qui a vu certains des siens parmi les meilleurs des soviétiques devenir ces oligarques que l’on connait, par spoliation des biens communs sans pour autant s’attirer la haine de leurs compatriotes qui les considèrent plutôt comme des malins qui ont réussi et aujourd’hui, font la nique aux occidentaux. C’est caricatural mais bien réel, hélas.
En fait, ils nous haïssent pour ce que nous sommes et qu’ils ne veulent pas être, solidement ancrés et marqués par leur histoire et leurs traditions.
Nous devons comprendre qu’ils sont révulsés par les libertés dont nous jouissons et qui n’ont trouvées chez eux qu’un accueil suspicieux durant les dix ans de respiration entre l’URSS et Vlad 1er. Trop éloigné des traditions et des plis imposés par des siècles de servage puis de soumission, l’Esprit des Lumières n’a pas rencontré l’écho que l’Occident avait fantasmé.
Nous devons comprendre qu’ici aussi, ces fameuses libertés ont mis des siècles à se construire et à s’imposer, et encore, imparfaitement, les forces réactionnaires étant toujours à l’affut pour les raboter et les réduire. La force des traditions d’un peuple que l’Union Soviétique nous vendait à grands coups de propagande comme le plus progressiste du monde, est telle, qu’elle le rend imperméable à toute autre vision du monde que la sienne propre, la chose étant aggravée par Vlad 1er qui, par son origine professionnelle, sait parfaitement ce qu’attendent ses concitoyens et comment manipuler leurs esprits réceptifs à la petite musique qu’il leur joue depuis l’an 2000.
Un peuple qui le suivra de plus en plus massivement et dans les pires aventures, parce que caressé dans le sens du poil, make Russia great again – cela vous dit quelque chose, non ? – et qui continue à le suivre pour le pire à nos yeux, à notre totale incompréhension.
Alors non, sauf accident, l’histoire est ce qu’elle est, ne comptons pas sur une révolution interne pour renverser ce monarque : dans ce pays, nul n’y songe, il est fort, il ridiculise ses adversaires corrompus et décadents, voire nazis, il impose de nouveau la Russie dans le concert du monde. Peu importe le prix, on en a vu d’autres !
Ici, nous savons que ce poids n’est que celui des 5000 têtes nucléaires, ni plus, ni moins. Mais nous ne sommes pas Russes, comment pourrions-nous penser comme eux ? Comment peut-on être Russe ?!
Essayons au moins de les comprendre un peu et le livre de Svetlana Alexievitch est d’un grand secours. Il me parait évident qu’une meilleure connaissance de leurs mentalités permettrait de cesser de s’illusionner sur une sortie miraculeuse du conflit en cours et d’admettre, hélas, le retour d’une sorte de guerre tiède qui va empoisonner la planète proportionnellement à nos faiblesses et autres illusions sur la Russie et ses habitants.
Nous allons devoir adopter une toute autre posture que celle de marchands prêts à tout négocier. Vlad 1er n’a aucune intention de négocier, il attend que nous tombions de l’arbre, sous les yeux satisfaits de son peuple uni derrière lui.