Je n’ai pas écrit depuis un moment, à mon grand dam. Pas découragé d’enfoncer des portes ouvertes ou de combattre des moulins à vent – au moins, il y a de l’air, dans les deux cas ! – mais plutôt un peu occupé par une de ces occlusions d’agenda comme il en arrive parfois, même aux salariés à vie (non, je ne suis retiré de rien, plutôt tiraillé de toutes parts !).
Pas découragé mais plutôt catastrophé du tour pris par la vie du Monde.
Face à des enjeux assez inouïs dans l’histoire de l’Humanité, il semble que la perspective ne parvienne pas à nous mobiliser comme jamais mais plutôt à nous pousser dans les derniers retranchements de nos travers les plus désespérants, d’autant plus monstrueux qu’ils sont puissamment relayés par les moyens modernes de communication se jouant des frontières, des langues et des distances.
Nos sociétés sont morcelées en groupes d’individus pensant peu ou prou la même chose sur les mêmes sujets, tous partageant hélas la même tendance à la radicalité et au dogmatisme, au point qu’en ces temps de fluidité où se parler n’a jamais été aussi facile, on ne constate que retranchements et bétonnage dans des convictions ne souffrant aucune contradictions.
Chaque groupe semble disposer d’une vérité révélée ce qui, par construction, élimine toute velléité de rapprochement avec qui que ce soit d’autre.
Ainsi, nous sommes conduits à ronronner entre bienpensants autoproclamés qui haïssent le reste du monde, à tourner en rond dans un mouvement perpétuel autour de nos nombrils et à accuser les autres de mener l’Humanité à la catastrophe.
Les sociétés ainsi construites en mosaïques ne demandent qu’à s’effondrer sur elles-mêmes, du propre poids de leur certitudes, sans s’émouvoir des véritables menaces qui pèsent sur elles. Le déni de réalité fondé sur la contestation de tout ce qui ne rentre pas dans leurs champs de convictions, jusqu’aux lois de la physique elles-mêmes, crée une fausse impression de puissance et de sécurité qui le nourrit de façon rétroactive en voilant toutes perspectives peu amènes.
Tout ceci alors que nous savons depuis des millénaires, grâce à quelques humains plus humains que les autres et démonstrations historiques à l’appui, que la diversité des points de vues débattue avec honnêteté et humilité est le seul moteur de progrès de la pensée et de la tolérance mutuelle.
Eh bien non, là aussi, déni de réalité, on veut avoir raison envers et contre tout, quitte à marcher sur la tête. Et à faire le contraire de ce que nous dicte la raison la plus élémentaire au prétexte qu’elle ne respecte pas nos aspirations d’individus-dieux omnipotents et omniscients par méthode Coué.
Pas découragé mais plutôt catastrophé du tour pris par la vie du Monde.
Tant qu’il ne sera pas mis fin à la dictature des âneries et opinions qui polluent les grands espaces de la connaissance du monde que sont internet et les réseaux sociaux, qui placent des gens éduqués par la télé et désastreusement mal instruits par des institutions vendues aux modes au détriment des fondamentaux de la caisse à outils sociétale de base, face à des affirmations qu’ils prennent au premier degré faute d’esprit critique ou de la plus élémentaire prudence, rien ne bougera. Jamais.
Nous savons pourtant à qui profite le crime, ce pouvoir sans visage ni frontières qui s’est imposé à tous sans passer par les urnes, plus puissant que la pire des autocraties en ce qu’il séduit nos penchants les plus délétères afin de se faire oublier et d’avoir le champ libre pour nous vider les poches et le crâne.
Nous savons tous, mais nous continuons à voter pour ses suppôts, à tolérer les mensonges de campagnes pour n’avoir plus que la force de râler avant de revenir au train-train séduisant vendu par la propagande commerciale omniprésente.
Nous savons tout cela, mais nous avons désappris à agir collectivement, croyant que les autres sont nos ennemis. Levons le nez et, au lieu de nous recroqueviller avec ceux qui nous ressemblent le plus, rapprochons-nous de ceux qui ne pensent pas comme nous, enrichissons-nous de nos différences et, enfin libérés du carcan consumériste, mobilisons-nous collectivement contre ce qui nous menace tous.