Le 6 avril dernier, j’ai assisté à Izieux aux cérémonies commémorant le 70ème anniversaire de la rafle de 44 enfants juifs et de leurs encadrants par l’occupant allemand, aux ordres de Klaus Barbie. Izieux, un lieu magnifique et serein que l’on n’imagine pas théâtre d’une telle infamie.
Des discours, comme toujours en telles circonstances, mais ici terribles et lumineux, devant la plaque ou figurent les noms des victimes d’une barbarie qu’on espère disparue dans les limbes de l’histoire.
Captivé par l’histoire des sociétés humaines, je cherche à comprendre, avec l’irritation de qui cherche à se saisir d’une savonnette mouillée, comment tant de gens se rendent complices des pires criminels au prétexte que ces derniers ont acquis une légitimité politique conforme aux lois en vigueur et acceptent de ainsi de participer à des actes contraires à tout ce qu’ils ont appris, à tout ce qu’ils croient.
Je ne suis pas le premier à me poser la question de la banalité du mal ! C’est pour moi d’autant plus stupéfiant qu’on s’occupe là des soutiers de l’horreur, de ceux qui étaient au contact direct et physique des victimes, de gens paisibles, qui n’avaient rien demandé à personne et dont le sort ne dépendait que d’une mention sur leur carte d’identité ou plus largement, de leur conformité à la norme sociale nouvellement imposée par un pouvoir sans nuances.
Klaus Barbie n’était visiblement pas de ce modèle, nazi convaincu et zélé, même pas repenti après sa capture suite aux efforts obstinés de Beate et Serge Klarsfeld. Ce genre de soudard est bien moins dérangeant que d’autres qu’on n’aurait pas une seconde imaginé assassiner des gens à la chaine.
Non, ce qui me navre, c’est la prééminence de l’idéologie, qu’elle soit politique ou religieuse, sur le bon sens et la décence commune, sur les normes culturelles de la société où se déroule le drame. Car la chose est une des mieux partagée au monde, notre histoire en est pavée ad nauseam.
Qui pourra m’expliquer autrement qu’en m’enfumant, comment est-il possible qu’un bon chrétien à la vie de petit bourgeois avec femme, enfants et éventuellement maitresse, exerce quotidiennement un boulot consistant à gazer de pleins wagons d’enfants décrétés indésirables, ou à un commissaire politique nourri au grand soir, à affamer à mort des paysans à qui il confisque sans état d’âme les derniers grains de blé parce qu’on lui a dit que c’était des nuisibles ?
J’ose à peine évoquer l’inconséquence criminelle d’un Mao toujours adoré par des nostalgiques de ses maximes absconses, qui a conduit des dizaines de millions de personnes à mourir de faim, juste pour démontrer qu’il saurait faire sortir son pays de la misère en un claquement de doigt !
J’arrête là cette sinistre énumération, nos livres d’histoire sont encombrés de tels récits.
Ce qui me navre le plus est que tout cela n’aura servi à rien, aussi loin qu’on remonte dans le temps.
Notre temps ne vaut pas mieux que son passé, je soutiens même que nous vivons une mondialisation diversifiée de toutes les tyrannies possibles qui reprennent sans broncher les schémas évoqués plus haut, mâtinés d’immenses progrès dans le rendement, modernité oblige.
Le chef à plumes chinois nous refait du Mao, le russe de l’hitlero-stalinien, un nombre croissant d’européens du fascisme bon teint, les fous de Dieu de toutes obédiences de l’Inquisition érigée en système sans parler de la fatalité ultra-libérale qui pèse sur tout ce petit monde et impose une vision totalement inhumaine du monde.
Tout ce malheur n’est possible que parce qu’il doit arranger une bonne partie des nôtres, qui ne voient que leur intérêt immédiat et celui de leur chapelle.
J’ai beau penser à Einstein, à Bach, à Descartes et j’en passe d’aussi lumineux, tout semble me ramener à l’infamie où baigne notre histoire et à me faire douter de ce qu’on nomme intelligence, tolérance ou liberté. Mais où sont-elles donc perdues ? Caïn l’emporte-t-il toujours sur ces notions devenues mythiques à force d’être piétinées et oubliées du plus grand nombre ?