Comme vous le savez, je suis plutôt prompt à m’opposer à toute tentative de morcellement de la société, tendance en vogue s’il en est.
Nous sommes tous tentés, à titre individuel, de classer ceux que nous connaissons peu ou prou, dans de petites boites, d’où pensons-nous, il sera facile de les retrouver, sachant à quoi nous en tenir sur eux. Les gentils, les méchants, les intellos, les bourrins, les rêveurs, les perfides, liste non exhaustive !
Cette facilité de classement a hélas des effets secondaires délétères. Elle focalise un trait de caractère particulier en une vision étroite de nos relations avec autrui, au détriment d’une vision d’ensemble des personnalités. Ce simple fait sacrifie tout un réseau de relations potentielles qui disparaissent sous les couvercles de ces boites péremptoires inventées par commodité relationnelle et aussi pour nous rassurer. Et comme nous sommes industrieux, pourquoi ne pas poursuivre cette tâche en regroupant ceux qui se ressemblent en groupes bien identifiés ?
Et pourquoi ne pas s’intégrer soi-même dans l’un d’entre eux ? Facile ! Pour se retrouver entre gens de bonne compagnie, tellement proches de nous qu’il n’y a pas grand-chose de neuf à en tirer sauf le plaisir de ronronner de conserve.
Nous connaissons et sommes tous touchés par ce phénomène qui s’affranchit très vite de nos petites personnes pour migrer au niveau de la société toute entière en la structurant en classes, en secteurs d’activités, en associations, etc. Étiquettes que notre société, par un effet inverse qui nous échappe, nous impose contents ou pas et sans guère de possibilités d’en changer.
J’enfonce des portes ouvertes, tout le monde sait cela. Ce dont je finis par douter tant les choses s’aggravent au point où l’échelle de cette structure sociétale tend à l’atomisation, au point que vous m’avez souvent pris à pester contre ce morcellement destructeur qui culminera le jour où tout le monde sera l’ennemi de tout le monde, triste perspective.
Dans ma vie quotidienne de salarié à vie curieux des choses du monde, j’ai la chance de passer souvent d’un de ces mondes à un autre, avec obstination tant certains sont réfractaires à qui n’est pas du sérail. C’est extrêmement intéressant à plus d’un titre.
Découvrir d’autres milieux, leurs traditions et organisations, leurs mentalités et engagements, leurs certitudes et leurs visions d’eux-mêmes, se confronter à d’autres manières de penser le monde, à d’autres intérêts et même à d’autres langages, est tout de même assez passionnant !
Évidemment, on risque des surtensions dans nos aprioris et autres idées reçues ! Parfois même des remises en questions assez vertigineuses. Une fois ces secousses digérées, apparaissent une multitude de possibilités, car ces fameux groupes constitués d’une multitude de petites boites s’avèrent finalement assez sensibles aux pas de cotés et aux regards en coin. Il suffit de les secouer un peu et curieusement, il devient possible de faire se parler des gens étrangers au possible, en dépit de la raison et des modes du moment.
On découvre alors que ces constructions ne sont pas si solides, ni imperméables, que ceux qui y sont enfermés sont étonnés de savoir en sortir à la rencontre de gens habituellement considérés comme trop étrangers, trop tout ce qu’on n’aime pas…
Y a-t-il meilleur moyen de s’opposer à la démolition systématique des liens sociaux qu’en commençant par abattre nos propres barrières avant de s’occuper efficacement de celles imposées par le système de pensée politico-économique que nous avons laissé prendre s’emparer de nos vies ?