Dans ce qui nous préoccupe, il est souvent question de l’exercice du pouvoir, à tous les niveaux.
Dans toute société hiérarchisée, le pouvoir dominant se doit d’en déléguer une parcelle inversement proportionnelle à la profondeur du niveau où il doit être exercé.
Il en découle le même principe pour son champ d’application : le chef de l’état étend son emprise sur tout le territoire national, le chef de bureau étend la sienne sur les quatre pièces au fond du couloir au second étage, le vigile sur la zone qui lui a été attribuée devant les caisses du supermarché.
Dans une hiérarchie idéale, le chef obéit à son chef + 1 et ainsi de suite vu du bas.
J’ai souvent pesté ici même contre la confiscation du pouvoir par le chef + x, rendant inopérantes toutes les positions intermédiaires. C’est un mal très répandu qui empoisonne le système et le rend souvent illisible.
Mais ce n’est pas mon propos du jour.
Ce qui me préoccupe est de savoir ce que fait de sa parcelle de pouvoir l’individu qui en est dépositaire.
S’il en use de manière orthodoxe, le système fonctionne de façon nominale dans son intérêt général. Mais qu’en est-il de sa personne même et de son rapport avec la parcelle intime de pouvoir qui lui reste et que personne ne viendra lui contester sur son bout de territoire ?
Qu’est-ce qu’elle en tire ? Qu’est-ce qu’elle en fait ?
La réponse première, évidente, est bien connue et s’étale dans le reflet du réel des journaux ou la fiction des romans : elle en profite pour tirer la couverture à elle, récolter des honneurs, des avantages, des richesses, quitte à risquer un retour de manivelle en cas d’abus, mais aussi bien sûr, pour peser sur ses subordonnés à son profit et défendre sa position. L’intérêt général commence à s’effacer derrière l’intérêt personnel.
Cependant, pour moi, cette réponse de dimension sociale et matérielle n’est que l’écume des choses. L’exercice d’un pouvoir sur autrui provoque une telle impression de puissance, qu’une fois connue, on ne peut plus s’en passer, il y a accoutumance, c’est une drogue, on devient accro. Je crois que l’attrait du pouvoir pour le pouvoir est plus fort que tout, à quelque niveau que ce soit.
De ce point de vue, nos conduites par rapport à lui sont beaucoup plus compréhensibles, même si cette conscience ne permet pas plus que ça de les contrôler. Au moins, on n’est pas dupes et la plus élémentaire dignité commande de ne pas crier à l’innocence au premier dérapage.
La sagesse populaire évoque l’ivresse du pouvoir à juste titre mais, oubliant un peu vite l’addiction qui se cache derrière, occulte un peu sa dangerosité sociale au sens où il s’agit d’une perte de signal du haut vers le bas.
Nous pouvons tous citer d’innombrables exemples d’égarements pour ne pas dire pétage de plomb, nous en avons tous été nous-mêmes victimes à un moment ou à un autre de nos vies.
En fait, et l’histoire le montre bien, plus on a de pouvoir, plus on se détache de ses effets collatéraux en terme de richesses et d’honneurs, sa conservation mobilisant tout le temps et l’énergie possible, il n’y a plus de place pour rien d’autre. Il règne sur la personne sans partage, la ronge.
On recherche toujours le pouvoir pour quelque chose au premier abord, mais au fond, c’est uniquement pour le pouvoir lui-même.
C’est la raison majeure pour laquelle nous appelons de nos vœux un dispositif de contrôle des pouvoirs confiées à nos élus en commençant par leur épargner de s’y frotter assez longtemps pour ne plus parvenir à s’en passer.
Mais comment faire pour convaincre ceux qui sont aujourd’hui accrochés comme des bulots aux jupes de la République et au pouvoir qui en découle, qu’il est grand temps de renoncer et de rendre la clé de la boite de Pandore ?

la soumission à l'autorité avilit, l'exercice de l'autorité corrompt.
Bakounine