La mode est au complotisme tous azimuts, nous sommes littéralement baignés dans une soupe nauséabonde à laquelle n’échappent même plus les rares réfractaires aux réseaux sociaux !
Le dernier assaut massif en date est le documentaire « Hold-up » mis en ligne le 11 novembre dernier.
Une ruée vers l’or s’en est suivie, chacun s’empressant de passer ce bébé nauséabond à ses suiveurs (parlons français). Mais pour une fois, la levée de boucliers des plus lucides ne se fit pas attendre au point qu’il existe déjà un article sur Wikipédia qui démonte pas à pas ce tissu d’âneries.
Peu familier de ce genre de chose et pour en avoir le cœur net, j’ai regardé « Hold-up » du début à la fin. Redoutable pensum bien agencé suivant des principes de manipulation connus des pires propagandistes depuis des lustres, puisqu’après avoir longuement exposé les errements des autorités dans la gestion de cette crise, réquisitoire à charge roboratif, les auteurs sortent du bois et en viennent enfin au vif du sujet : the great reset ! La grande réinitialisation ! La théorie complotiste en vogue dans la grande Amérique, mère de tous les délires. Effarant.
En matière de réinitialisation, si c’était possible, je crois que beaucoup gagneraient à reconsidérer leurs parcours éducatifs et à s’empresser de combler les innombrables nids de poule gadouilleux qui les jalonnent !
Ce documentaire s’inscrit dans un phénomène propre à notre époque et à l’idéologie qui la sous-tend : la pression sur le temps. En effet, il délivre à toute allure une telle quantité d’informations que l’esprit sature déjà à les capter toutes en oblitérant notre capacité à réagir, à recouper … Débordé, on a déjà filé ailleurs, etc. Il est à l’image de nos vies, courses poursuites permanentes après le temps, où tout est survolé et vite oublié pour passer à la suite, nous laissant harassés en fin de journée avant d’aller dormir à toute allure et pas assez longtemps pour recommencer le lendemain. Existences plutôt que vies durant lesquelles il est bien difficile de prendre du recul sur quoi que ce soit, de réfléchir à ce qu’on fait ou pas, de lever les yeux sur ce qui se passe autour de soi, de ne pas s’en remettre à des pensées formatées ou aux facilités du premier degré le plus crasse.
Ainsi désarmés, comment résister au grand déballage du complot des ultra-riches contre tous les autres, les pauvres qui subissent leur loi d’airain ? Le mécanisme est toujours le même face à une menace indistincte : on cherche à lui mettre un visage pour mieux la combattre, on lui cherche des intentions pour lui opposer les nôtres, on devine ses idées de manœuvres pour imaginer nos contre manœuvres. En un mot, on s’invente un bouc émissaire.
Cette « grande réinitialisation » a cependant une autre dimension en ce qu’elle prête aux maitres du monde ultralibéral des intentions génocidaires alors que nous sommes plus simplement confrontés aux conséquences intrinsèques du processus capitaliste libéré de toutes contraintes et qui ne connait pas de limites dans l’accaparement des richesses produites par le travail. Ceux qui en profitent comme ceux qui en pâtissent sont entrainés dans la même spirale destructrice qui n’a pas besoin du concours de qui que ce soit pour nous mener à la ruine. Oui, nous sommes menacés par un danger majeur, sans visage, sans légitimité, fruit d’un mécanisme né de l’économie de marché dont il est consubstantiel, dont le mouvement perpétuel nous échappe et qui a coupé la société en deux classes opposées.
Il n’y a pas de complot, seulement la dérive d’un système que la disparition du courage politique, mort dans la valse des chaises musicales si prisée de nos élites, ne permet plus de juguler et de tenir à merci. Ne cherchons pas midi à quatorze heures, et démasquons ce qui se cache sous les luxueuses diversions complotistes dont la prolifération joue le rôle de système immunitaire au pouvoir ultralibéral.
Comble de l’absurde, à quoi rimerait l’élimination des pauvres et de tout leur temps de travail, qui créerait la valeur ? Nouvelle preuve que l’univers ultralibéral, dans sa folie post-capitaliste, imagine que l’argent crée de l’argent comme par magie dans un univers sans passé ni avenir et donc oublieux de crises successives de plus en plus profondes, jusqu’à celle qui sera fatale à notre monde épuisé.
Vœu pieux, aux prochaines élections, il sera plus qu’urgent de dégager dans son ensemble une classe politique paralysée par ses compromissions pour enfin réinventer un code électoral favorable au courage politique et opposé aux carrières.
Les hold-up de la pensée qui prolifèrent de l’inculture des uns et du mépris des autres, ne participent pas à la pérennité des dominants mais au mécanisme dont ils profitent, ce qui est bien différent.

Oui ce film est effarant, affligeant, délirant. J'ai pas eu le courage d'aller jusqu'au bout, je supportais plus la musique de fond. Les créateurs de cette bouillie ne cherche que l'audience.