Dans le cortège d’annonces et de directives accompagnant le second confinement, j’ai été choqué de constater une fois de plus que ceux qui pondent à gros bouillons tous ces textes ne semblent pas avoir le temps de beaucoup y réfléchir ! Une fois de plus, nous assistons à une séance lamentable de rétropédalage d’urgence. Ça a dû courir en zigzag dans les couloirs du pouvoir !
Quelle meilleure démonstration de leur incurie que la décision de fermer les commerces hors alimentation et plus particulièrement les librairies alors qu’on ne touche pas aux grandes surfaces généralistes ou spécialisées en la matière, et encore moins à la vente par correspondance !
Toutes choses qui profitent à la World Company au détriment des commerces de proximité qu’elle a déjà copieusement massacrés depuis des décennies au prix de la désertifications des centres villes et des campagnes avec la complicité aveugle d’élus rêvant de centres commerciaux et de ronds-points. Alors qu’on aurait pu faire autrement avec un tant soit peu de vision à long terme. On en reparlera car le sujet est d’importance.
Je souhaite plutôt m’attarder sur le sens de ces directives, depuis un peu amendées à la suite d’une levée de boucliers pour une fois entendue tant la honte est grande : la World Company a dû reculer en fermant ses rayons livres et il y a fort à parier que toutes les librairies rouvriront avant décembre, Noël oblige. Par contre, c’est toujours open bar sur le net !
Cette confusion qui fait désordre est emblématique de la place accordée à la culture dans le monde que nous impose l’idéologie ultralibérale et les zélateurs issus de ses poussinières : moins que rien !
N’allons tout de même pas croire que la Covid fait ses choux gras des foules innombrables qui se pressent dans les librairies ! Leur fréquentation est inversement proportionnelle à la place occupée par bien d’autres diversions qui font office de culture par submersion.
Je ne vois ce nouveau mépris de la culture qu’en continuation d’un ensemble de menées contraires à ses intérêts allant du manque criant de moyens de l’éducation nationale, à la confiscation des médias par le commerce en passant par la baisse continue des subventions publiques au spectacle vivant.
Contrairement aux apparences, je ne radote pas, genre c’était mieux avant. Je constate. Tristement.
Le temps de nos semblables est confisqué à leur insu par une offre pléthorique apparemment favorable à la culture mais en fait asphyxiante, diluant les meilleures idées dans un fatras indémêlable, alors que, dans le même temps, l’école à bout de souffle ne parvient plus à donner aux enfants tous les outils indispensables pour comprendre le monde et notamment à les aider à faire la part des choses entre le futile et l’utile, à décoder ce qu’ils voient et entendent au-delà des effets de mode.
Pour revenir à la littérature, le libraire reste indispensable pour aider et guider l’acheteur dans la jungle des sorties massives de livres et leur éviter de s’égarer faute d’avis éclairé, à la différence de la grande surface qui ne mettra en avant que ce qui se vend bien et qui a été vu à la télé, quoi que ce soit, en comptant sur le réflexe moutonnier en l’absence de tout berger.
Encore une fois, pour acheter un livre, il est bon d’en débattre avec un être humain qui a le temps de le faire et sait de quoi il parle. Avec un masque sur le nez plutôt que sur les yeux !
Ceci peut être élargi aux autres secteurs, les fleurs, les vêtements, etc.
L’individualisme consubstantiel au libéralisme laisse le consommateur seul face à ses choix, soit tournant en boucle dans sa bulle, animé par une peur panique de confronter son omniscience autoproclamée avec l’avis d’autrui vécu comme une agression, soit en se conformant de façon quasi fanatique aux diktats d’un influenceur vu comme un dieu vivant. Contradiction, quand tu nous tiens !
Plus de place pour la découverte, pour la flânerie et la rencontre inopinée d’autres pensées, d’autres points de vue, d’autres visions du monde dans cet enfermement volontaire, douillet, hors de l’espace et du temps. Et de la vie.