Je pense souvent au processus de création de valeur par le temps de travail humain. Et je me demande si cette machinerie à l’origine du système capitaliste pouvait s’appliquer à autre chose qu’à générer une lutte de classe autour du partage de la plus-value.
J’ai eu dernièrement la chance de passer à la vitesse supérieure, durant une semaine passée la tête dans les étoiles depuis un observatoire astronomique installé au pied d’un pic dans le Queyras, à près de 3000 mètres.
Retour donc à la vie de refuge et de chambrée avec cuisine à tour de rôle et travaux d’intérêts généraux autorégulés, le tout avec rationnement de l’eau et de l’électricité !
Immergé dans un groupe d’astronomes amateurs plutôt aguerri, j’ai pu non seulement observer un ciel blanc d’étoiles et ses merveilles, mais aussi mes camarades dans l’exercice de leur passion car l’un des buts de mon séjour était de découvrir tous les gestes et savoir-faire, les difficultés et les hésitations dans la mise en œuvre des moyens d’observation et d’exploitation des données ainsi recueillies et de me régaler du spectacle permanent de l’intelligence déployée pour parvenir aux résultats escomptés.
L’astronomie est une science naturelle parmi les plus anciennes, ses développements théoriques les plus perchés et les plus fondamentaux dépendent étroitement de la garde au ciel menée sans cesse par tous les moyens possibles dont ceux des amateurs ne sont pas les moins importants. Ce guet qui ressemble à celui du « Désert des Tartares » en bien plus excitant, traque les phénomènes les plus fugaces et apparemment insignifiants, permettant aux plus savants capitalisant ces données d’édifier de robustes théories et de les vérifier.
A première vue, tout ça ressemble bigrement à une sorte de capitalisme des connaissances dont le commencement est l’extraction de données brutes par tous ceux qui se sentent concernés par la vie du ciel et acceptent librement d’y passer beaucoup de temps, gracieusement en n’en tirant que la reconnaissance de leurs pairs pour les amateurs, ou en acceptant pour les professionnels, les maigres salaires de chercheurs souvent peu en rapport avec le niveau de leur formation.
La matière première est par construction accessible à tous ceux qui lèvent encore la tête !
Les moyens de production vont de la simple paire de jumelles à l’E.L.T. (Extremely Large Telescope) de 39 mètres en construction sur le Cerro Armazones (Chili) à plus de 3000m, financés chacun à leur échelle par leurs utilisateurs, des économies du particulier aux budgets nationaux ou internationaux.
J’ai ainsi assisté à une création de valeur non pas marchande, mais de connaissance brute ! Ici, le temps de travail, fait de patience et d’humilité, valorisé par la richesse des gestes et des savoirs, crée de la valeur scientifique dont la plus-value ne s’exprimera qu’en étant partagée librement dans le seul but de connaitre le monde et ses rouages.
Le mécanisme par ailleurs à la source de bien des tracas des sociétés humaines lorsqu’il est appliqué à l’économie, apparait ici sous un autre jour, montrant qu’il n’est pas le problème qui lui, réside plutôt en ce qu’il mouvemente !
Élucubrations dues au manque d’oxygène à 3000 mètres, intoxication nébuleuse ou enthousiasme prosélyte, allez savoir ?
Ou tout simplement le plaisir d’évoquer mon inclination de toujours pour les sciences du ciel dans ce forum consacré à des turpitudes beaucoup plus terre à terre ?
Réfléchissez-y vous aussi …