Je ne suis jamais allé au Liban, je n’en connais que ce que j’en ai lu ou que ce qu’on m’en a dit. C’est un peu mince pour oser évoquer ce pays mais pourtant, ce qui s’y passe nourrit un certain nombre de réflexions d’ordre plus général que son seul destin, réflexions qui n’engagent que moi.
Comme l’avait déjà remarqué notre Général national en son temps, le mot « compliqué » s’applique bien à sa société morcelée en communautés étanches et jalouses, toutes plus ou moins inféodées à des voisins pesants et agités dont les turpitudes franchissent allègrement ses frontières poreuses.
Chaque communauté donc, forte de ses propres soutiens extérieurs, de sa diaspora, campe sur ses certitudes avec un regard sur l’extérieur pétrit de la méfiance de tout ce qui n’est pas elle.
Il en résulte une neutralisation politique et sociétale conduisant à un immobilisme permanent cimenté au plus profond par le mercantilisme et la corruption, le destin de chacun ne pouvant être qu’un clone de celui de sa communauté d’appartenance, sans la moindre possibilité d’y changer quoi que ce soit.
Les vertigineuses inégalités entre ses classes sociales imposées par une forme de loyauté fataliste ne sauraient être mises en question sans nuire à la tradition et par là, à la pérennité de la communauté.
Le résultat de ce blocage est une longue descente aux enfers de la déliquescence politico-économique, entre prévarication, corruption et fraudes.
La catastrophe survenue cette semaine, aggravée par le contexte pandémique couronnant une crise économique incontrôlable, n’est qu’une forme de coup de grâce qui permettra peut-être un sursaut salutaire même si, à la lueur de ce qui s’est passé à la fin de la guerre civile de 1975-1990, on peut douter d’un quelconque changement, comme si ce pays n’avait le choix qu’entre une guerre permanente entre communautés, ou son partage verrouillé entre les mêmes !
Ce pays a des liens historiques avec le nôtre, ce qui explique la promptitude de la réaction du pouvoir politique français. Certains ont d’ailleurs évoqué l’ingérence et le colonialisme alors qu’il ne s’agit à mon sens que de manifester une solidarité inquiète du destin de l’aide apportée, qui ne doit pas comme souvent, aboutir à la fin, dans un compte offshore ! Nous connaissons tous cette incertitude alors que nous voulons aider un ami envers et contre les dérives bien connues qui le menacent.
Ceci dit, il me semble que le sort du Liban est représentatif de ce qui attend plus ou moins bien d’autres pays, dont le nôtre.
La montée de communautarismes intransigeants mêlée à l’autisme d’élites politiques sous l’emprise d’une pensée unique favorise la fragmentation des sociétés nationales en mosaïques de groupes de gens aux intérêts non négociables et bien sûrs totalement divergents de ceux de leurs concurrents, situation fatale à la notion d’intérêt général.
Ce morcèlement se fonde sur la religion, sur la classe, sur le sexe, sur un mélange du tout, que sais-je encore, entrainant de fait une décohésion sociale qui nourrit encore plus de communautarisme jusqu’à parvenir à une situation absurde où tout est bloqué par la contradiction des exigences partisanes.
Le retour sournois dans notre pays de ces querelles de clochers de toutes natures dont il avait été si difficile de sortir par le passé, est un crève-cœur pour ceux qui ne conditionnent pas le destin de leurs concitoyens à l’appartenance à telle ou telle communauté, qui pensent fort justement que chacun doit être traité également dans une société intransigeante sur ses valeurs, mais intégratrice et protectrice.
Je me permets même de mettre en parallèle ce principe de décohésion sociale favorisant les intérêts particuliers avec ceux du capitalisme libéral qui place ces mêmes intérêts au-dessus de tout et impose la loi du marché comme dogme quasi religieux. Ainsi, deux grands fléaux s’abattent sur nous, qui fonctionnent de la même manière en pulvérisant les sociétés en faveur des communautés ou des individus, qui nous enferment dans des dogmes qui leurs sont propres aux dépends de l’humanisme et de la tolérance des Lumières présentés comme hérétiques en tout.
Mais qui donc veut de ce monde si fort que nous n’avons même pas voix au chapitre ?