J’ai souvent évoqué ici un constat qui ne fait que s’amplifier : on ne sait plus faire.
Je me suis exprimé sur ce sujet dès le démarrage de ce forum en 2014 (on ne sait plus faire du 18 avril 2014) et depuis c’est allé en empirant.
L’Empire Américain est durement touché avec les déboires à ricochets de ses chasseurs F-35, de ses ravitailleurs en vol KC-46, de ses Boeing 737 MAX, usines à gaz industriels dont on tarde manifestement à reprendre le contrôle faute de trouver du répondant parmi une main d’œuvre pressée de travailler plus vite que sa capacité de compréhension ou au-delà de ce que lui permet une éducation saccagée par l’effondrement de la qualité de l’enseignement pour ceux qui n’ont pas de quoi payer mieux.
Nous ne valons pas mieux avec par exemple la saga hallucinante de l’EPR de Flamanville dont la mise en service prévue en 2012 est aujourd’hui planifiée en 2023, mais uniquement en cas de miracle. Que dire de la cascade d’errements industriels allant de défauts relevés sur les cuves et certaines soudures aux falsifications des contrôles pour contourner des obligations de sécurité. L’allongement à perte de vue des délais et l’explosion des coûts filant vers un quadruplement, sont l’expression directe d’un grand désarroi technique et d’une obstination prométhéenne à vouloir faire plus que ce qu’on est capable ! Rien à redire à vouloir faire mieux, mais il arrive un moment où le bon sens doit l’emporter sur les égos de caste et la force des lobbies.
Et pour qu’on ne me reproche pas d’avoir une vision trop matérialiste du monde, je vais aussi évoquer le cinéma dont la plupart des productions sont devenues des produits industriels déclinés à l’infini aux dépens des créations originales qui ne trouvent plus de financement.
D’ailleurs, cette notion de création originale et inédite se retrouve aussi dans l’industrie où le recyclage avec peinture neuve est devenu matière à économies sur le coût de l’innovation pure.
Donc, toujours la même question : comment en est-on arrivé là, alors que par un passé pas si ancien, notamment durant la seconde Guerre Mondiale, on a assisté à une explosion technologique dont les plus grands programmes ont aboutis dans des délais stupéfiants alors qu’il fallait tout inventer ou presque. Et souvenez-vous, en matière de systèmes complexes, de sans-fautes comme la conquête de la Lune ou Concorde à une époque où on usait encore beaucoup de la règle à calcul et un peu d’ordinateurs asthmatiques et aux mémoires de poissons rouges. Il ne s’agit donc pas d’une question de moyens.
L’humanité serait-elle devenue stupide ? La question mérite d’être posée. Je peux tenter une réponse en avançant pas à pas.
La notion de Grand Marché Libre imposée par le néolibéralisme depuis les années 80 me semble avoir trop favorisé la notion de concurrence à tous crins menant de fait à ne plus penser qu’en termes de coût et de profit immédiat.
Nous aussi avons changé en devenant individualistes à courtes vues, imbus de nous-mêmes et de notre infaillibilité, nous rendant capables de tordre le réel par la force de nos ambitions.
Nos sociétés ont changé de fait, obsédées par le contrôle de tout et rien, nourri de risque zéro (surtout financier !), à tel point que l’embolie menace à chaque instant, la liberté d’agir qu’on nous vante tant, illusoire pour le plus grand nombre, ne profitant qu’aux plus riches puisque l’argent est omnipotence !
Ainsi ce monde se prive de notre inventivité naturelle cadenassée dans des imbroglios de procédures et de compte-rendu imposés par la confiscation du pouvoir par le haut, dans une débauche de gaspillage d’énergie et de temps pour ne rien produire.
A contrario, j’observe que les grands projets récents menés dans un contexte non lucratif, ont été menés à bien malgré leurs immenses complexités à la fois théoriques et pratiques.
Deux exemples récents me viennent à l’esprit : la construction de l’accélérateur de particules LHC du CERN à Genève ainsi que celles des grands interféromètres laser VIRGO en Italie et LIGO aux USA.
Ces appareillages colossaux ont permis de prouver l’existence du boson de Higgs d’une part et des ondes gravitationnelles d’autre part. De la science fondamentale pur sucre. Je vous invite à aller voir cela de plus près sur Wikipédia.
Pour moi, ces succès ont surtout démontré que nous savions toujours faire, c’est-à-dire nous dépasser en nous aventurant avec succès dans des domaines inconnus armés de notre seule intelligence et avec pour seul but une meilleure connaissance du monde. Le cœur du sens de la vie, quoi.
Pourtant, à l’identique de ce qu’on peut constater pour les projets lucratifs, quelles usines à gaz que ces collaborations internationales aux coûts faramineux, aux mains de scientifiques venant de toute la planète ! Malgré ces lourdeurs, le but a été atteint.
Cette espèce de démonstration peut paraitre primaire et un peu rapide, elle permet cependant de comprendre un peu mieux la différence entre un monde qui cherche pour trouver et un monde qui cherche pour faire du profit, la différence entre l’implication de gens fédérés autour d’un projet d’intérêt général et celle de gens seulement intéressés à se partager des profits.