L’inventivité des théoriciens de l’emploi est sans limites.
Un nouveau concept s’installe au sein des services administratifs de toutes sortes : le boulot nomade.
L’idée de fond est de déraciner les employés, de les extirper de leurs bureaux poussiéreux pour leur permettre de s’épanouir dans de rutilants open-spaces où tout le monde espionne tout le monde dans un bruit de fond incessant. Mais pas seulement !
En effet, il n’y a pas de bureau pour tout le monde ! Donc, il y a intérêt à se manier le train le matin, sinon, c’est le placard assuré !
Que c’est beau, la vie moderne ! Après avoir stressé à cause de la nourrice enrhumée, puis pour trouver une place de parking, on serre les fesses de peur de ne pouvoir les poser pour travailler !
La presse tendance se gargarise de ce nouveau concept, fait briller la liberté de s’organiser et si on comprend bien, c’est une panacée universelle. J’en tombe à la renverse.
Cette invention managériale de haute volée fait suite et complète admirablement l’organisation d’une pression permanente émaillée d’exigences de reporting et autres réunionites si nombreuses qu’on ne trouve même plus le temps de bosser sereinement, étant de fait entrainés dans le cercle infernal des objectifs impossibles et donc non atteints.
Dans toute vie professionnelle, la difficulté de la tâche et le délai dans lequel elle doit être accomplie suffisent largement à créer une pression favorisant le recours à l’intelligence et au savoir-faire. Tout ce qu’on y rajoute est contre-productif notamment parce qu’il est bien difficile de discerner là-dessous les buts d’une hiérarchie qui auto justifie ainsi son existence. D’où perte de sens.
On entretient ainsi une ambiance de pétoche générale, chaque niveau tendant à se protéger en persécutant celui d’en dessous, en exigeant des rapports incessants entrainant des remontrances qui seront brandies comme bouée de sauvetage en cas d’incidents. J’ai déjà parlé ici de la confiscation du pouvoir vers le haut.
Le nomadisme vient augmenter encore l’insécurité d’employés déjà harassés par le minutage du café et de la pause pipi.
Cette nouvelle tendance est pour moi totalement contraire à notre besoin profond de sécurité, (celui-là même qui nous fait avaler n’importe quelle mesure liberticide), qui poussait les premières hordes humaines du paléolithique à trouver des grottes puis à construire des cabanes pour s’abriter !
Observez-vous, si vous avez l’habitude de la vie au grand air, que ce soit pour le travail ou pour les loisirs, vous comprendrez parfaitement ce que je veux dire. Pour les autres, imaginez-vous devoir passer une nuit dehors en hiver …
S’opposer à tout environnement familier et rassurant dans l’idée stupide de parvenir à un rendement proche de 100% est une aberration. Ceux qui soutiennent cette idée sont-ils une fois dans leur vie descendus salir leurs chaussures dans les tranchées ? D’où sortent-ils, ces handicapés sociaux ?
Comment pouvons-nous faire comprendre à ces gens au câblage cérébral incomplet que sérénité et marges de manœuvres valent bien plus que la schlague ! Que le partage des buts de guerre de l’entreprise et de ses intentions pour les atteindre est bien plus efficace pour la motivation que les aboiements de tyranneaux terrorisés !
Mais pour cela, il faut faire confiance et dans un contexte d’individualisme forcené, c’est mission impossible. Alors continuons à casser tout ce qui fait société.