Nous nous sommes abandonnés à l’étreinte du grand marché libre pour, le croyions-nous, participer à la grande fête mondiale et jouir d’une prospérité aussi économique qu’œcuménique !
Nous avions oublié les effets collatéraux de ce bonheur insoutenable.
L’un d’entre eux en particulier, refait surface de temps en temps au gré de l’actualité guerrière de la planète. En ce moment, c’est le Yémen qui est sur la sellette, parce que ce qui s’y déroule est tout à fait représentatif des conflits faux-jetons que se livrent certains pays au travers d’autres moins puissants, exportant ainsi dégâts, exactions et massacres hors territoire national. Sans revenir sur ses causes, s’il y en a d’autres que le choc de volontés de puissance ombrageuses, attardons-nous sur ses répercutions jusque dans nos campagnes.
Il apparait que de bonnes armes françaises seraient utilisées par certains des belligérants ! Scandale !
Questions au gouvernement ! Dignités effarouchées ! Plus jamais ça !
Au-delà de ce tremblement de Landerneau, manifestation habituelle des ondes d’hypocrisie, il faut bien reconnaitre que c’est vrai : on bombarde français, on massacre gaulois ! C’est tragique. Pour nous bien sûr, bonnes âmes, pas pour les victimes qui se foutent de savoir qui a fabriqué le truc qui va les carboniser ou les écrabouiller.
Il faut se rendre à l’évidence : si l’argent n’a pas d’odeur, les marchandises en ont toutes une et pas des meilleures. Et aussi qu’une fois la marchandise vendue et payée, son sort échappe complétement au vendeur : si vous voulez mettre votre caleçon sur la tête, vous suicider à petit feu avec vos clopes ou jouer au lance-flammes avec la bombe anti-moustique, c’est votre problème, plus le sien.
A ceci près que les armes ont une particularité : quelle que soit leur nature, elles sont destinées à tuer des gens. On ne peut pas les détourner de leur objet, un canon reste un canon et il est difficile de transformer un char d’assaut en pot de fleur, sauf peut-être s’il est trop vieux.
Donc s’indigner que les armes que nous vendons servent à tuer, relève de la plus pure malhonnêteté ! Si cela nous cause tant de remords, cessons d’en fabriquer … Oui, mais les autres, nos concurrents …
J’oubliais, c’est bien de commerce qu’il s’agit. Bon pour la balance commerciale, pour l’emploi, pour conserver le savoir-faire, pour ne pas dépendre de vendeurs étrangers, etc.
Alors, ne pourrait-on pas choisir nos clients en fonction de leurs valeurs morales ? Pourquoi pas, mais ça va ça vient, un jour modèle de vertu, un jour affreux jojo ! Par exemple, les chars Leclerc jetés dans la bataille par les Emirats ont été achetés il y a plus de vingt ans à une époque où le Yémen était certainement le dernier de leurs soucis ! On en revient au fait que la morale n’a rien à faire dans le commerce, sinon, plus rien ne marche ! Le commerce doit rester inconséquent.
Le plus gênant pour des pays développés vivant sous des régimes à priori démocratiques, est l’obligation de fait de fréquenter ouvertement les tenants d’autres régimes beaucoup plus dirigistes voire dictatoriaux dont la popularité contrainte les pousse à se surarmer pour mieux s’accrocher au pouvoir. Ça n’est pas nouveau non plus. Les dictateurs, pardon, nos amis les dictateurs sont nos meilleurs clients ! En plus, ils servent de banc d’essai à des tas de dispositifs aux destinations plus ou moins obscures mais que nous ne tarderons pas à retrouver chez nous au train où va le grignotage de nos libertés au profit de la sécurité tant il est vrai que rien n’est plus sûr qu’une prison bien gardée.
Alors courage, affrontons nos contradictions au nom du grand marché libre que rien ne doit entraver et prospérons sans honte dans un monde où la morale n’a plus cours, pour le plus grand profit des marchands d’armes et des psychiatres.