Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire du monde, on se heurte souvent à des murailles invisibles mais bien solides édifiées parfois depuis des lustres, qui occultent les horizons et les perspectives indispensables à une bonne compréhension des choses.
Cela tient à des rancunes mal éteintes, des haines anciennes, des vendettas aux origines oubliées, toutes choses démontrant que les sociétés humaines sont bien vivantes et ont de la mémoire !
Dans notre pays par exemple, nous n’avons toujours pas oublié les guerres de religion, les massacres de Vendée, la Terreur et j’en passe. Ces événements passés ont tous aujourd’hui des prolongements qu’il est passionnant d’identifier, leurs manifestations allant du plus subtil au plus caricatural.
La plupart du temps, les choses se sont apaisées avec le temps mais aussi grâce à des prises de conscience naissant souvent d’un petit nombre d’individus qui savent trouver les moyens de convaincre la majorité d’en finir avec les vieilles rancunes.
Mais certains événements du passé semblent échapper à ce retour à la tolérance mutuelle. Ils semblent dotés d’une énergie propre les aidant à revenir sans cesse au-devant de la scène sous une forme ou une autre.
La colonisation en est l’archétype. A ce seul mot, les passions se déchainent et il devient très compliqué de faire la part des choses et encore plus de trouver l’apaisement indispensable pour passer à la suite en s’épargnant de trainer des casseroles éternelles.
Que se passe-t-il donc qui nous oblige littéralement à choisir un camp, toute tentative d’étude ou de compréhension du phénomène étant assimilée à de la haute trahison par tous les partis en jeu ?
Il s’agit d’une guerre de position entre protagonistes coincés dans leurs tranchées idéologiques. Pas de place pour le mouvement dont l’idée même semble avoir disparu. Et le temps ne fait rien à l’affaire puisque la mémoire en question n’est plus individuelle donc fugace, mais sociétale et donc coriace.
Pour en sortir, il faut oser lever le nez quitte à prendre des coups et par étapes, se faire une idée moins partisane des choses.
Une bonne connaissance de l’histoire est nécessaire : comment en est-on arrivé là ? Qui étaient les protagonistes, quels étaient leurs intérêts ? A partir de quelles sociétés cela a-t-il été possible ? Qu’en pensaient les gens de l’époque ? Existait-il d’autres moteurs que la cupidité ? Poser ces questions revient à s’attaquer à des tabous avec tous les risques que cela comporte, mais le jeu est payant : on ne juge plus de la même manière des événements que l’on comprend mieux, on prend du recul, on découvre la grande toile d’araignée des rapports entre les peuples avec ses souterrains, on tire sur des fils pour voir ou cela bouge. On devient moins dogmatiques, on est prêt à discuter avec l’adversaire sans l’humilier ni s’humilier, en toute dignité. On retrouve la liberté offerte par le mouvement des idées fussent-elles renversantes à l’aune de celles dont nous nous contentions.
Chercher à comprendre l’autre n’est pas complicité mais lucidité.