Travailler est devenu une préoccupation permanente, presque une obsession. Mais qu’est-ce que le travail, de quoi s’agit-il, pourquoi est-il si important ?
Le travail est une dépense humaine d’énergie, qu’elle soit physique ou intellectuelle, qui s’incorpore dans des objets en les transformant, ou qui fournit directement un service à d’autres personnes (santé, transports, …)
Le travail est consubstantiel à l’espèce humaine. Notre espèce homo sapiens est apparue déjà dotée d’un ensemble de techniques : le feu, des outils de pierre frustes mais nécessaires à la survie. Le travail (entretien du feu, taille des outils, préparation des peaux…) apparaissait donc comme quelque chose de naturel et non pas d’extérieur aux individus.
Le travail était social. Un individu ne travaillait pas pour lui-même ou pour sa seule progéniture, mais pour l’ensemble de la tribu. Comme le travail, la vie en société est consubstantielle à l’espèce humaine.
Les êtres humains du paléolithique avaient-ils même l’idée qu’ils travaillaient ?
Les objets qu’ils fabriquaient n’avaient qu’une valeur d’usage.
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Un changement s’opère au néolithique. Ce qui est déterminant à ce moment-là, c’est la découverte de l’agriculture, de l’élevage et de la poterie qui permettent à un être humain de produire plus que ce qu’il consomme, et que l’excédent soit conservé et puisse être échangé.
Les producteurs des haches en dolérite polies de Plussulien, qu’on retrouve dans toute l’Europe occidentale, devaient être nourris, vêtus par d’autres parce qu’ils y passaient tout leur temps. Leur activité avait changé de nature : elle était devenue travail au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ils ne travaillaient plus pour satisfaire les besoins de leur tribu, mais pour la valeur d’échange de ce qui était devenu une marchandise. Dès lors, ils pouvaient travailler non plus quatre heures par jour, mais six heures, huit heures, etc.
La création d’un excédent permet l’augmentation de la population et la division du travail. Chaque individu ne peut plus connaitre tous les autres membres de sa collectivité. La société se complexifie parce que les échanges entre les êtres humains doivent être organisés. Certains individus créent une classe dominante, celle de ceux qui structurent la société. Ceux qui se trouvent en haut de l’échelle sociale sont ceux qui peuvent penser l’organisation de façon abstraite. Ceux qui sont dominés sont ceux qui produisent les biens matériels et qui restent dans la pensée concrète. Leur travail devient contraint. Plus ils travaillent, plus les dominants vivent dans le luxe.
Les membres des classes dominantes ne peuvent pas directement absorber le temps de vie des dominés, mais il y a une sorte de transfert indirect :
• Ils disposent de plus de temps libre ;
• Ils ont les moyens de profiter de ce temps libre ;
• Leur espérance de vie est plus longue ;
• Surtout, leur espérance de vie en bonne santé, en étant en forme, est beaucoup plus longue ;
• Ils peuvent bénéficier de soins médicaux poussés, voire de greffes alors que des pauvres sont obligés de leur vendre des organes vitaux.
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Quand la vie devient invivable, les dominés cherchent une solution immédiate à leurs problèmes. C’est une réaction au premier degré. La tendance naturelle est la révolte. De l’autre côté, si la révolte est massive, elle peut faire lâcher du terrain ; sans jamais remettre le système en cause. La lutte est perpétuelle.
Penser un changement plus profond nécessite de la pensée abstraite, c’est-à-dire la compréhension des phénomènes sous-jacents. Cela n’a rien d’évident et nécessite un effort qui devrait relever de l’intelligentsia. Les intellectuels ont malheureusement cessé de réfléchir sérieusement en s’abandonnant aux sirènes libérales.
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Le marché peut apparaitre, d’abord avec des groupes voisins, puis à l’intérieur de chaque société.
L’apothéose du marché survient avec le capitalisme. Pour les libéraux, le marché libre incarne la perfection. C’est le critère de vérité. Rien ne vaut que ce qu’il vaut sur le marché.
Du point de vue de l’individu, le travail n’a plus pour objet de produire des biens utiles, mais de générer un revenu. En réaction à cette attente, les politiciens cherchent à créer des emplois, pas forcément du travail utile. Dans le système libéral, la nature même du travail perd de son sens.
Une multitude d’activités apparaissent mais n’ont plus d’utilité sociale : publicité, démarchage téléphonique, trading, coaching, optimisation fiscale, judiciarisation, etc. La raison d’être de ce parasitisme est de prélever des ressources sur la partie saine de l’économie.
L’être humain est un être social, c’est-à-dire qu’il est à la fois individu et partie d’une collectivité. Les deux sont indissociables. Dans une société complexe, le travail est le principal médiateur de l’échange réciproque entre l’individu et la collectivité. C’est cet échange qui donne son sens à la vie individuelle. L’être humain n’est pas construit pour “profiter de la vie”. Se sentir bien dans sa peau, en réalité, ce n’est pas en faire le moins possible, mais s’inscrire dans cet échange qui fait qu’un être humain est ce qu’il est, humain.
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Dans sa phase actuelle, le capitalisme a pour effet de détruire le sens qu’apporte le travail à la vie humaine.
Tout retour au sens du travail doit commencer par une rupture avec la logique libérale de l’opposition de chacun avec tous les autres. Tout ce qui prétend faire l’économie de cette rupture n’est qu’illusions — comme celles qui nous sont présentées par des “documentaires” aussi inoffensifs que médiatisés comme Sacrée croissance ou Demain.
Il est bien évident qu’il y a du travail pour tout le monde, parce que chacun peut et doit apporter à la société, entretenir une relation duelle avec elle, apporter et recevoir. Oui un autre monde est possible, mais pour en arriver là, il faut se résoudre à renverser la table et d’abord à rompre avec la loi du marché.
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