Tenter de définir l’esprit de défense est plus difficile qu’il n’y parait. Le concept est rebelle à n’être réduit qu’à un aspect militaire, tant dans ses fondements que dans ses manifestations. En fait, il est transversal à la société toute entière.

Comment émerge cette volonté des individus composant un groupe à s’opposer par tous les moyens à tout ce qui peut le menacer, fût-ce au prix de leur vie ?

Ses manifestations initiales ont certainement été contemporaines des premiers groupes humains dont la dimension supérieure à celle d’une famille était limitée à la capacité de chaque individu à connaitre tous les autres, soit de 100 à 200 personnes tous âges confondus.

La pérennité de ces hordes reposait sur la coopération nécessaire à la survie élémentaire, sur la cohésion de la société émanant de la solidarité entre les individus vivant ensemble, et sur leur volonté de voir durer le groupe. Coopération et cohésion sont les garants de la survie et le terreau d’un esprit de défense élémentaire.

Petit à petit, ces sociétés se sont multipliées par scissions successives jusqu’à occuper tout l’espace comme des bulles de savon forment une mousse avec des tensions superficielles aux interfaces, mais aussi des échanges de toutes sortes jusqu’aux sociétés actuelles qui, pour la première fois sont confrontées aux limites de notre planète.

Avec ce changement d’échelle, comment l’esprit de défense a-t-il perduré ?

Déjà, il est toujours présent à petite échelle, on peut observer ses manifestations couramment au sein de microcosmes soumis à l’adversité. C’est l’esprit de corps des soldats au combat, des pompiers au feu, des salariés luttant pour la survie de leur entreprise, des alpinistes d’une cordée…

Plus précisément, on découvre qu’il est d’une manière générale, généré par le regard des autres dans l’adversité et renforcé par la bonne connaissance de la menace.

A plus grande échelle, on le retrouve au niveau de la nation, si on s’intéresse à l’histoire ! Mais pas plus haut. Car la nation est l’unité élémentaire qui agit indépendamment de qui que ce soit, dont les membres obéissent aux mêmes lois, qui a une défense commune et un territoire donné.

Durant la Seconde guerre mondiale, on le retrouve dans le comportement jusqu’au-boutiste de l’Allemagne hitlérienne, dans la résistance opiniâtre des anglais galvanisés par les discours de Churchill, dans le sursaut des russes aiguillonnés par l’appel de Staline en 1941, dans le réveil irrité des Américains à l’écoute de Roosevelt s’insurgeant contre la félonie de Pearl Harbor, dans la mobilisation suicidaire du Japon en 1945…

Mais pas dans une France minée par des dissensions internes, la faillite de ses élites, et l’archaïsme de ses états-majors, jusqu'à qu’elle entende certains discours renouant avec l’espoir.

Il ressort de tout ce qui précède que l’esprit de défense n’existe pas sans cohésion sociale, quelle que soit sa nature, sans la connaissance précise de la menace, reconnue dans des discours inoubliables, vrais et forts, sans une confiance absolue dans les institutions en charge d’orchestrer la défense.

Ces conditions remplies, il se déploie et charpente puissamment la société qui se défend alors efficacement, en toute connaissance de cause.

On ne peut que s’inquiéter de sa force de nos jours, alors que règnent un individualisme conduisant à considérer autrui en ennemi de soi, une montée des inégalités menaçant frontalement la cohésion sociale, une désinformation détournant des vrais enjeux et enfin une perte de confiance croissante en ceux qui gouvernent en notre nom et dont la langue de bois n’est qu’un éteignoir d’enthousiasme.

Qui ira se faire tuer pour une société dont on ne peut plus rien attendre en retour tant elle est vendue à des intérêts privés ?

Au début n’est pas l’esprit de défense, il n’est que la conséquence de la bonne marche d’une société en ce qu’elle protège également les individus qui la composent au prix du sacrifice consenti de certains d’entre eux.