En 1980, Rose et Milton Friedman assuraient dans Le choix de la liberté que le marché libre conduirait à la paix, au bonheur et à la prospérité. La chute du communisme a donné à leur assertion le statut de la vérité.

 

Depuis, les dirigeants ne cessent de demander aux peuples plus d’efforts. Et chaque fois qu’un peuple consent à de nouveaux sacrifices, la paix, le bonheur et la prospérité s’éloignent. C’est que vous n’en avez pas assez fait, proclament les politiciens, vous êtes trop conservateurs, trop attachés à vos privilèges !

Ce qu’ils n’annoncent jamais, c’est quel est l’horizon. À partir de quel moment considèreront-ils qu’assez d’efforts ont été consentis, que l’on aborde enfin sur les rives enchantées de la paix, du bonheur et de la prospérité ?

Ce que les politiciens taisent, de nouveaux Friedman le proclament. Écoutons-les, lisons-les. Le Québécois Gabriel Lacoste dit où nous mène le capitalisme. Il éclaire le chemin.

Au début est le marché. « Les lieux de commerce qui relient des individus sans la supervision d’une autorité centrale sont présents autour de nous. Ils fonctionnent très bien. » Les marchés fonctionnent très bien (comme chacun peut le constater !), mais ils sont cantonnés à « la vente d’appareils électroménagers ou de tondeuses ». Hélas, « certains secteurs comme l’éducation, la police, les routes et la santé n’ont jamais ressemblé à un marché purifié de la planification politique. » Il s’agit donc de tout confier au marché, « écoles, hôpitaux, pollution, commerce, routes et ainsi de suite ». Comme, par exemple, « un marché de la justice où les postes de police nous vendraient des protections en situation de concurrence ». Le but final étant de parvenir à « une société de marchés prospères et sans État ».

Plus d’État, plus d’impôts : « une taxe est une prise d’argent sans consentement et non un don à la société. » Plus d’État, plus d’impôts, plus de politique : « une élection est un choix confus, limité et contraignant plutôt que l’expression d’une volonté libre et claire. »

Il va de soi qu’un tel programme ne peut s’imposer que progressivement. « Le but n’est pas de tout changer en un jour […] Le chemin pour l’incarner dans la réalité peut être graduel et prudent. » Mais au bout du compte, il ne restera plus que « l’individu et ses réseaux d’activités marchandes. »

Plus rien n’existera au-delà, au-dessus, en dehors de l’individu. C’est « la mort de Dieu ». « Au fond, l’humanité peut mieux vivre en se passant de la figure paternelle, voilà tout » conclut Gabriel Lacoste.

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Cela vous parait délirant et ne pas devoir être pris au sérieux ?

Regardez donc ce qui s’est déjà passé depuis quarante ans et vers quoi tendent tous les pays du monde. Dans de nombreux domaines, l’objectif final est déjà largement atteint.

La privatisation de tous les services publics est en cours.

Le social est remplacé par le caritatif.

Tout s’achète, tout se vend. La corruption n’est pas un accident, elle devient la règle.

Les élections ont été vidées de sens. Que vous votiez blanc ou noir, le résultat est le même.

L’individu est la norme de tout. La preuve ? Qu’avez-vous fait, personnellement, pour vous opposer à ce cauchemar ?