L’essentiel

Dans la société ultralibérale, chaque individu vit pour lui-même. Sa devise, c’est « Moi, moi et moi ! » Sa morale, c’est de « bien vivre », de « profiter des opportunités ». Il considère comme incongrue ou héroïque l’idée d’aucun sacrifice pour autre chose que soi ou sa petite famille. Cela lui semble plein de bon sens : après tout, « on n’a qu’une vie ! » Il se croit plus intelligent que les générations passées.

L’ennui, c’est que s’il n’est prêt à rien donner au collectif, que ce soit la nation, un syndicat, un parti politique, une église, une secte, une loge maçonnique, il sait pertinemment que rien ne viendra jamais le défendre quand il en aura besoin. L’humanité fonctionne ainsi : chaque individu s’implique dans la collectivité. En retour, cette collectivité permet à chaque individu de survivre. L’ultra-individualisme a détruit ce rapport dialectique entre l’individu et la société.

Le prix psychologique à payer pour cette rupture est bien plus élevé que la prétendue jouissance de chaque instant : c’est l’angoisse. Cette angoisse est tout à fait justifiée. Elle n’a rien à voir avec les conditions matérielles d’existence. Des gens qui apparemment vivent bien sont rongés d’angoisse parce qu’ils savent que, quand viendra le danger ou l’adversité, ils se retrouveront seuls.

 

Développements

Moi social et individualisme

Précisons le d’emblée, pour éviter tout malentendu : le groupe d’appartenance doit être fort et pérenne pour être protecteur ; les individus qui le composent doivent être impliqués. Il ne s’agit pas d’une amicale de randonneurs, d’une chorale, d’un club de bridge ou d’une association scolaire.

Le Moi social, c’est la part de chaque individu qui défend l’organisation sociale qui, en retour, protège l’ensemble des individus. L’égo individuel peut s’investir momentanément dans des associations ludiques ou de loisirs dont il se retire tout aussi facilement. Il ne faudrait pas imaginer qu’une personne qui a de nombreuses relations sociales aurait pour autant un Moi social fort — ce dernier peut quasiment avoir été détruit.

Le Moi social est naturel. Il existe spontanément chez chaque être humain ; sans lui, nous n’existerions pas parce que l’humanité n’aurait pas pu survivre. Il s’exprime sous la forme primitive de l’empathie qui est une réaction naturelle et spontanée de solidarité, chez les humains, avec les êtres en difficulté. Le Moi social n’a donc pas besoin d’être appris pour exister. Ce qui est appris, c’est la destruction de ce Moi social, pour aboutir à « l’individu libre sur le marché libre » qui est le fondement du capitalisme.

C’est pourquoi les aphorismes qui semblent plein de bon sens, tel « Mon but, c’est de bien vivre ! » ou « On n’a qu’une vie ! » ne sont pas naturels du tout mais les produits d’une éducation destructrice.

Angoisse et implication

La destruction du Moi social produit inévitablement de l’angoisse, avec la disparition du groupe protecteur. L’angoisse génère à son tour de l’épuisement. Épuisement qui conduit les victimes à devoir profiter de leur temps libre pour se refaire, pour se restaurer — tâche largement impossible — et qui les rend incapables de s’investir dans la collectivité dont elles auraient besoin. Ce cycle de renoncement au Moi social, dépression, repli sur soi, est un cercle vicieux. Quand on s’y engage, il est difficile d’en sortir, ce qui explique l’effondrement actuel de notre société.

Moi social et djihad

Abandonnés par les intellectuels, certains jeunes des milieux populaires trouvent dans une communauté religieuse le Moi social dont la société ultralibérale les prive. Leur action correspond à un besoin fondamental des êtres humains : s’impliquer dans une collectivité forte. C’est pourquoi aussi bien des filles que des garçons s’engagent dans le djihad. Toutes les mesures de censure d’internet n’y pourront rien changer, parce que le problème n’est pas là. Le problème, c’est qu’en atrophiant les êtres humains, la doctrine ultralibérale est une doctrine criminelle.

Moi social et hyper riches

Ce n’est pas parce que les plus riches privent les autres de leur Moi social qu’eux n’en ont pas. Ils s’investissent dans des organisations, des institutions qui les protègent en retour. Leurs rencontres à Davos ou au Siècle sont célèbres. Ce mois de mai, les ultra-riches du monde entier vont se retrouver au Festival de Cannes, au Derby du Kentucky, à la Frieze Art Fair de New-York, à la Biennale de Venise et au Grand Prix de Monaco.

Ils savent aussi satisfaire leur besoin d’empathie en fondant des organisations caritatives, en patrouillant à bord de leur yacht pour secourir des migrants qui se noient, à essayer de défaire, comme l’écrivait Peter Buffet, avec leur main gauche les malheurs qu’ils ont provoqué avec leur main droite, et à se faire acclamer par le public pour leur générosité.

« Chaque adhérent agit selon ses possibilités et ses désirs. Il n’y a pas de norme à l’activité militante. »

Voilà ce que proclament les statuts d’AlternativeS DémocratiqueS. Mais est-ce que cela veut dire que les militants sont invités à en faire le moins possible ? Certainement pas. L’expérience montre que l’activité militante est un peu contrainte par les obligations familiales ou professionnelles, mais qu’elle dépend surtout de la conscience de la situation.

Notre situation actuelle est celle d’un péril mortel. Il ne s’agit plus d’une annonce pour quelque chose à venir. L’angoisse des jeunes, le stress et l’accablement des adultes sont là. Ce n’est pas en leur disant qu’AlternativeS DémocratiqueS, c’est cool, comme on veut quand on veut, qu’on fera venir qui que ce soit.

AlternativeS DémocratiqueS est jeune comme organisation mais s’inscrit dans une longue tradition de luttes pour la démocratie et la liberté. En ce sens, elle est forte et pérenne et est l’héritière de tous les progrès démocratiques et sociaux des siècles passés.

Ce n’est pas non plus une auberge espagnole où chacun apporte ce qu’il veut, dans une ambiance sympa. C’est un atelier d’élaboration exigeant. Ce n’est pas un lieu ou les égos au bord de l’explosion vont être encore gonflés. Au contraire, la mise en commun incite à la modestie et à faire dégonfler la bulle égotique pour laisser à nouveau de la place au Moi social.