L’ultralibéralisme, porté par le PS, l’UMP et leurs alliés, a fait faillite. Il prétendait se passer de l’État : il ne survit que grâce aux interventions massives des États. Il a ruiné la France, désindustrialisée et incapable de rembourser sa dette. Combien de temps pourra-t-il encore se maintenir, au gré des alternances du système UMPS ? Il semble qu’on arrive au bout.

L’ultralibéralisme est une variante du capitalisme ; pourtant, les courants socialistes ne profitent pas de son effondrement. C’est qu’ils trainent deux boulets derrière eux. D’une part, les Montebourg, les Mélenchon et communistes variés tiennent des discours tonitruants mais ils se sont compromis dans des gouvernements PS, et le premier s’y compromet encore. D’autre part, et cela concerne aussi l’extrême-gauche, ils refusent de réfléchir aux causes de l’échec du socialisme soviétique.

La nature ayant horreur du vide, un boulevard s’offre à l'extrême-droite. Le Front National a été ravagé par les conflits internes, peu importe. Même là où il n’a pas de militants, il réalise des scores électoraux impressionnants. Depuis des années, PS et UMP promettent la croissance pour l’an prochain et apportent le chômage, la misère et le désespoir. Face à eux, le Front National apparait porteur d’avenir.

Alors, à quoi ressemblera la France sous Marine Le Pen ?

J’écarte d’emblée l’idée qui console des gens de gauche comme quoi le Front National fera preuve de son incompétence et échouera. Au contraire, il a les moyens de réussir, en tout cas en comparaison avec le désastre actuel.

La base sociale du Front National, ce sont les petits et moyens entrepreneurs, artisans, commerçants, agriculteurs, petits et moyens industriels. Contrairement aux fonctionnaires, beaucoup ont souffert, parfois durement, de la “mondialisation”, c’est-à-dire de la concurrence avec la main d’œuvre à bas cout des pays socialement arriérés. Pour eux, la sortie de l’euro, le retrait de l’Europe, les taxes douanières ciblées sont porteurs d’espoir, et ils ont raison puisque c’est la “mondialisation” qui a provoqué la désindustrialisation et le déclin de la France.

En dépit des déclarations prudentes de Marine Le Pen, le redressement national passera aussi par l’exploitation des gaz de schiste, même si c’est temporaire et risqué pour l’environnement. Ce sera un atout important pour créer de l’activité économique en France et pour réduire le déficit du commerce extérieur.

Ce programme séduit une bonne partie de la base de l’UMP, qui se retrouve dans l’orbite du Front National et qui servira de force d’appoint à ce dernier dans son accession au pouvoir.

Il séduit aussi une grande partie de la classe ouvrière abandonnée par la gauche et par les intellectuels. Ce que veulent les ouvriers, c’est avant tout du travail. Ils sont d’autant plus satisfaits que, par des mesures contre les immigrés, Marine Le Pen promet de freiner la course au moins-disant salarial.

Il n’y a donc pas de raisons pour croire à l’échec a priori du programme économique du Front National. Certes, il entrainera une augmentation des prix de produits aujourd’hui importés. Simultanément, il peut recréer beaucoup de petits métiers et d’emplois dans la réparation et le recyclage. Une reprise de l’activité économique peut être le principal facteur du retour à une vie normale dans les “quartiers sensibles”.

Marine Le Pen devrait donc s’installer durablement au pouvoir. Et c’est là que les choses se gâtent.

Chacun a entendu ses protestations de démocratie et son refus d’être classée à l’extrême-droite. Il faut y regarder de plus près.

La Ve République est en réalité une monarchie élective. Une seule personne, le président y jouit de pouvoirs extravagants. La seule mesure que propose Marine Le Pen pour contenir ce pouvoir, serait qu’il n’y aurait qu’un mandat non renouvelable de sept ans. « Le Chef de l’État doit agir uniquement en fonction des engagements qu’il a pris devant les Français et non pas en vue de sa future réélection », écrit-elle. Vous parlez d'une garantie ! La preuve a depuis longtemps été faite que les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

De fait, la structure de la Ve République est idéale pour instaurer un régime autoritaire, une fois qu’on a accédé au pouvoir suprême. Marine Le Pen propose une reconcentration des pouvoirs de l’État, et non une démocratisation des pouvoirs locaux. Est-ce suffisant pour douter de sa bonne foi démocratique ?

Pour le savoir, allons voir son projet éducatif car rien n’est plus parlant que ce qu’on envisage pour l’avenir de la nation.

Cela commence ainsi : « À l’école, la laïcité qui est non seulement la neutralité religieuse mais aussi la neutralité politique sera appliquée avec la plus grande fermeté. » Jusqu’ici, tout va bien, et il n’y a rien de choquant, pensez-vous. Le problème, c’est que ce que Marine Le Pen appelle « neutralité politique », c’est sa conception du monde à elle, et que ce qui est différent est interdit !

Tout ce qui a échoué dans les méthodes archaïques devient obligatoire, tous les succès obtenus par les progrès en pédagogie sont interdits. La pédagogie elle-même, qui est pourtant l’art d’enseigner, rebaptisée “pédagogisme”, se trouve formellement interdite. Parlant de l'école, Marine Le Pen écrit que « les méthodes et l’état d’esprit pédagogistes n’y ont plus leur place. »

Au lieu d’aider les élèves à apprendre, l’enseignant devra imposer une discipline rigide et une soumission formelle, un apprentissage mécanique basé sur la crainte : obligation de se lever quand l’enseignant entre en classe, vouvoiement obligatoire de l’enseignant, méthode syllabique obligatoire, notes obligatoires… Tout cela est détaillé explicitement dans le projet de Marine Le Pen qui insiste : « Si félicitations et encouragements sont nécessaires, les sanctions sont tout aussi inévitables. »

Il n’est plus question d’apprendre les mathématiques, mais le calcul. L’histoire se trouve ravalée au niveau d’une idéologie : « des notions solides sur l’histoire de France, à partir de la chronologie et de figures symboliques qui se gravent dans les mémoires ».

Il s’agit donc de façonner des personnes obéissantes, craignant l’autorité et ne posant pas de questions. Ce modèle pédagogique (car c’en est un, il s’agit bien d’une façon d’enseigner) est utilisé dans les diverses dictatures et régimes autoritaires de notre planète. Ce n’est donc pas par hasard que le Front National soutient le régime autoritaire de Viktor Orbán en Hongrie : « Nous sommes tous des chrétiens hongrois ! » titre Bruno Gollnisch.

Ce détour par l’école nous a permis de mieux connaitre l’état d’esprit de Marine Le Pen. On est loin de la profession de foi démocratique.

Dès lors, il ne faudra pas s’étonner de voir l’État se peupler des créatures du Front National : « L’École Nationale d’Administration (ENA) veillera en particulier à recruter des hauts fonctionnaires patriotes. » « L’objectif sur le quinquennat sera de réserver 1 embauche sur 3 dans la fonction publique aux plus de 45 ans issus du privé. » En toute neutralité politique, surement… Nous sommes prévenus.

Tout aussi probable que sa réussite économique, le Front National et ses alliés imposeront un régime autoritaire à la France. Une façade démocratique et des pratiques arbitraires, à la Poutine.

Ce régime sera plus durable que beaucoup l’imaginent ; il pourra même être populaire initialement, tant notre société actuelle est vidée de tout sens. Mais il contient déjà en germe les raisons de sa chute. Marine Le Pen ne serait probablement pas au poste qu’elle occupe si elle n’avait été la fille de son père. Elle a aussi eu la chance de ne pas avoir de frère, qui eut été probablement plus viril qu’une « petite bourgeoise ».

Un pouvoir concentré a de la peine à gérer une société complexe. Le népotisme et la prévarication prospèrent dans les régimes autoritaires, et finissent pas peser sur l’économie.

L’union entre la classe ouvrière et le patronat des PME ne durera pas. La reprise économique, la démondialisation et l’arrêt de l’immigration feront renaitre les revendications ouvrières, même si Marine Le Pen promet de mettre au pas les syndicats : « Des syndicats plus représentatifs travailleront mieux à la réelle défense des intérêts des salariés : ils seront en effet plus à même d’entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de forces (grève, manifestation) ».

Depuis la Révolution de 1789, tous les régimes autoritaires ont mal fini en France. Napoléon Ier, Charles X, Louis-Philippe, Napoléon III, Pétain ont terminé leur vie soit en exil, soit en prison.

En attendant un semblable dénouement, la perspective qui s’offre à nous n’est guère réjouissante. Cela n’empêche pas AlternativeS DémocratiqueS d’affirmer qu’une autre issue est possible, ne serait-ce que pour témoigner, ne serait-ce que par dignité, ne serait-ce que pour préparer l’avenir.